Arrivée de Thorn, posté par Aranna le 21-11-2007 à 23:23

Arcane XXVI - L'arrivée de Thorn

Si certaines journées étaient d?une parfaite banalité, ils en étaient d?autres qui laissaient des traces dans les mémoires, comme ce jour de mars où le Vieux nous avait apporté Thorn.

Il avait plu toute la journée, une de ces pluies glaciale, continue et lancinante. Une de ces pluies à l?humidité moite qui finit tôt ou tard par atteindre votre c?ur.
Dire que la journée n?avait pas été des plus brillantes relevait de l?euphémisme. Le Clan des Ténèbres avait fait une descente et épinglé du bout de la griffe tout ce qui n?allait pas. Ici les manuscrits n?étaient pas assez protégés. Là c?était les livres normaux qui n?étaient pas assez en valeur, là des libraires qui ne souriaient pas assez, là des libraires qui souriaient un peu trop. Sans oublier bien sûr, l?éternelle rengaine sur les résultats des ventes, toujours trop basses. Le Clan avait passé un savon au Vieux, qui en avait passé un à Eadha, Eadha qui avait ensuite fondu sur nous. Tout le monde en avait pris pour son grade.
Quand, enfin, Eadha eut fini, chacun se mit en devoir de répercuter l?enguelade sur son inférieur hiérarchique direct, histoire de faire bonne mesure. Bref, c?avait été une excellente journée, l?humeur de chacun le prouvait clairement. Foalsey était à deux doigts d?égorger une endormie, et Shein avait offert deux nouvelles cicatrices à la porte menant à la réserve, ce dont la malheureuse n?avait nul besoin.

C?est dans cette atmosphère que l?on vit revenir le Vieux. Il était totalement trempé, mais, surtout, il n?était pas seul. Il tenait, ou pour être plus juste il soutenait ce qui ressemblait à une jeune femme. Elle aussi était trempée de la tête aux pieds, ses mains étaient sales, ses genoux salement écorchés et ses jambes tremblaient.

Sans prononcer le moindre mot, le Vieux la saisit par la taille et l?assit sur le comptoir.

_ « Elle s?appelle Thorn, dit-il, vous prendrez soin d?elle à partir de maintenant. »

Il avait dit cela avec autant de naturel que s?il avait été question de la réédition d?un ouvrage. Comme si déposer une parfaite inconnue, mal en point qui plus est, sur le comptoir et nous demander, - non, nous intimer-, de veiller sur elle n?avait rien d?incongru.



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Les Jumelles, posté par Aranna le 20-11-2007 à 22:33

Arcane XXVI


On ne trouvait pas que le bureau du Vieux au sommet de la tour. C?était aussi là que les livres et les artéfacts étaient classés, enregistrés, analysés, neutralisés et préparés. Et cette tâche incombait aux Jumelles.

Chaque livre qui arrivait au magasin passait entre leurs quatre mains expertes, pour être aussitôt mis à nu. Les Jumelles s?assuraient tout d?abord qu?aucune malédiction ne touchait l?ouvrage en question, et si d?aventures il y en avait une ? et ses aventures là étaient bien plus fréquentes qu?on n?est disposés à le croire- elles la désamorçaient, travail fastidieux et risqué. Pour le moment, cinq mille trois cent vingt-deux malédictions différentes avaient été recensées, divisées en cinq grandes familles.
Il fallait ensuite faire connaissance avec le livre, savoir ce qu?il était disposé à raconter sur son existence, ses propriétaires respectifs, et, si tant est qu?il y était disposé, pour quelle somme il souhaitait être vendu le moment venu. Toutes ses informations étaient précieusement compilées, et conservées dans un vieil ordinateur moribond qui trônait sur le grand bureau en métal. A première vue, la pièce avait l?air tout ce qu?il y a de plus normal (sauf peut-être pour le nombre de livres qu?elle contenait), avec ses murs gris sale, son bureau métallique et impersonnel, son vieil ordinateur ronflant et crachant. Il fallait regarder attentivement pour s?apercevoir que le bureau d?une honnête secrétaire n?avait pas besoin d?une immense sphère d?obsidienne ou d'un bocal de soufre plein à ras bords à côté du pot à crayon.

Pour être honnête, le plus étrange dans ce bureau, c?était les Jumelles elles-mêmes. Le terme de jumelles était un peu usurpé, elles n?étaient pas vraiment semblables, à dire vrai, complémentaires aurait bien mieux convenu. La première était brune, avec des yeux d?eau grise, délavée, une eau saumâtre et huileuse. La seconde était une blonde aux yeux noirs, un ton juste au dessus de l?encre de Chine si la chose était possible. Elles avaient en commun un strabisme particulier : l??il gauche de la première et le droit de la seconde ne pouvaient jamais se quitter du regard. Lorsqu?on était en présence d?une des Jumelles, il suffisait de regarder cet ?il pour savoir dans quelle direction se trouvait l?autre.
Pour tout le reste, elles étaient exactement semblables, depuis l?implantation de leurs cils jusqu?à leurs corps de petites filles.

C?était peut-être le plus troublant. Les Jumelles n?avaient rien d?adulte. Ni dans leurs physiques, ni dans leurs allures, ni dans leurs vêtements. Extérieurement, elles auraient pu être n?importe quelles petites filles de huit ans vêtue à l?ancienne mode, mais certainement pas des archivistes, encore moins ce genre d'archiviste.




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Faithful departed, posté par Aranna le 17-11-2007 à 16:42

Arcane XXVI

« Par ma voix , dit le Vieux.

Par ma voix tu sais, j?ai longtemps apporté tour à tour désastre ou bénédiction. L?agonie ou la paix. »

Foalsey ne dit rien, se contentant d?écouter, le c?ur en bandoulière, drapé dans sa douleur, comme d?autres brandissent leurs étendards.

« Je suppose, poursuit t?il, que le moment serait venu de te faire une confession, mais je ne la ferai pas cette confession, je préfère mille et mille fois te laisser l?imaginer. Maintenant Foalsey, tu va quitter la pièce, sans me tourner le dos, et me faire le plaisir d?effacer tous tes souvenirs de ta mémoire, celui là excepté.

Quand tout te semblera vain, et que tu auras l?impression d?avoir tout vécu, d?être insensible au temps, tu auras encore la douleur de cet instant pour te prouver le contraire. Maintenant, va-t?en.»

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Le Vieux ; Foalsey, posté par Aranna le 13-11-2007 à 13:04

Arcane XXVI


Personne ne se serait risqué à contrarier le Bibliothécaire, à moins d'avoir de sérieuses raisons de vouloir en finir avec la vie. En fait, il était admis que le contredire était purement et simplement suicidaire.

Le Bibliothécaire, aussi appelé Le Vieux, habitait un corps âgé d'une quarantaine d'année, et pour cette existence là, il était grand, mince et avait des cheveux poivres et sels coupés courts. Il ne se mêlait que rarement aux bruissements du monde, préférant se cloîtrer dans sa tour, seul, occupé à des tâches dont personne ne savait rien. L'existence du bibliothécaire était une énigme, une de ces énigmes anciennes et indéchiffrables que l'on continue à essayer de résoudre par habitude, comme un jeu. Il aimait les livres cet homme, et les livres le lui rendaient bien.

Il n'avait jamais été mordu ou agressé par l'un d'entre-eux, et quand il descendait se mêler aux mortels, plus d'un ouvrage ronronnait sur son passage. L'entendue de sa culture surprenait toujours les Endormis. En même temps, quand on compte son existence en année, la moindre originalité passe pour la plus grande des excentricités. J'aurai bien voulu leur dire moi, à ces Endormis, que si ils pouvaient voir ce que nous voyions, ils arrêteraient immédiatement de s'extasier sur la culture du Vieux. Pour être juste, je crois qu'ils en oublieraient de respirer.

Les Endormis étaient un grand sujet de conversation, et une source de plaisanterie intarissable. Nous nous moquions volontiers de leur stupidité, de leur ignorance et de leurs convictions inébranlables sur la nature de la réalite. C'était à se demander si ils le faisaient exprès. Foalsey disait qu'ils avaient du oublier de rêver pendant une bonne trentaine d'existences pour en arriver à un stade aussi critique.
Foalsey n'aimait pas beaucoup les Endormis. Peut-être même encore moins que le Bibliothécaire. En même temps, Foalsey avait de bonnes raisons à cela. Foalsey n'était ni un garçon ni une fille mais ce que les gens voulaient voir. Si une personne s'attendait à ce qu'il soit un garçon, Foalsey en était un. Et si une autre personne pensait que c'était une fille, elle en était une. Je ne suis jamais allé vérifier jusqu'à quel point cette métamorphose se faisait, mais d'après les rumeurs, elle était totale.

Elle m'avait confié une fois à quel point c'était pénible et douloureux quand on trouvait un homme affolant et qu'il nous donnait du «monsieur », et vice-versa, trouver une fille suffisamment belle pour donner des idées, et qu'elle nous considérait comme une fille super sympa. J'avais compati. Au moins, avec nous Foalsey n'avait pas ce problème, pas à un stade aussi avancé. Nous avions chacun notre manière de la voir. Pour moi, il n'y avait pas de doute, Foalsey était une fille. Pour le bibliothécaire par contre, elle était un homme. Je m'en souviens parce qu'elle était descendue de la tour en rogne, à la fois flattée et agacée. Une fois qu'on avait fixé son identité, il était impossible de la voir autrement, et si elle ne m'en avait pas parlé, je ne m'en serai sans doute jamais rendu compte de sa particularité.

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Sans titre, posté par Aranna le 11-11-2007 à 23:45

On avait beau lui dire qu?il ferait mieux de s?en méfier, il n?y parvenait pas. Cette fille le fascinait. Elle n?était pas franchement belle, mais, il n?y avait rien à faire, quelque chose le troublait.
Quelque chose qui n?avait rien à voir avec son physique, soit dit en passant assez ordinaire. Non, c?était indéfinissable, lancinant et étrangement désagréable.

La sensation infecte qu?elle savait. Avec un grand S. D?ailleurs, il n?était pas le seul à l?avoir remarqué. En toute justice, son étrangeté crevait les yeux. Cela tenait peut-être à sa façon de planter son regard dans celui de son interlocuteur. Ou à sa manière désinvolte et un peu insultante de prévoir ce qui allait se passer ? prédictions qui s?avéraient toujours exactes-.

Il ne la connaissait pas vraiment, il l?avait seulement croisé, et elle n?avait rien dit ou fait de plus que les autres, mais, et cela était vraiment différent, il lui avait semblé qu?elle le considérait. Il n?aurait pas su dire pourquoi, mais ses yeux avaient cette lueur narquoise et intriguée qui l?épinglait au mur, déshabillant son âme, la disloquant, l?éparpillant. Pour le moment, il n?était pas parvenu à décider si c?était pénible, agréable ou odieux. Soit il était dingue, soit elle était folle. L?un n?excluant pas l?autre.

Enfin, rectification, pour être tout à fait honnête, elle l?agaçait. Cette désinvolture dans son comportement était typiquement le genre de chose qu?il ne tolérait pas. Il avait tenté de lui en faire subtilement la remarque. Trop subtilement, parce qu?elle n?avait rien remarqué. Pendant tout le temps où il lui parlait elle regardait par la fenêtre l?air absent, et avait laissé échapper quelques allusions au temps qu?il faisait. Impossible de se souvenir quoi, en tout cas, quand il avait regardé à son tour par la fenêtre, les vitres étaient devenues tellement sales et le ciel tellement sombre que l?idée même de regarder était aberrante. On l?avait appelé quelques minutes après pour lui annoncer en catastrophe que les gonds de la grande porte avaient lâchés.

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